Manuel de Cristallographie
  Chapitre 8
[Note de Serge Nollens : voilà exactement ce que j’appelle, à la fin du chapitre précédent, jouer à appeler les fantômes. J’ai écrit ces passages durant mon séjour à Londres. On pourrait arguer que j’avais trop de temps devant moi, que j’étais obsédé par le morbide. Quoi qu’il en soit, ce qui suit est basé sur des faits réels que j’ai quelque peu romancer, tout en étant, c’est certain, bien en deçà de la réalité.]

« - Alors tu vois, c’est à 500 kilomètres d’ici, disait Camille Goemans en tenant le bras de Raphaël pour traverser la petite rue balayée dans les deux sens par des voitures.
- Tu devrai vraiment y aller ! en les prononçant il avait découpé chaque mot à l’intérieur de la phrase. C’est une opportunité qui ne se représentera plus.
- Je n’y irai pas. Non. Pas que ce soit pas tentant. Ça l’est, réellement. J’aurai une bourse, un cadre idyllique, du temps pour réfléchir, des gens qui seront là pour m’écouter. C’est l’une des plus grandes universités de lettres.
- Alors tu vas y aller. Tu vois bien que ça te plait
- Je n’y irai pas. C’est tout.
- Tu ne dois pas t’en empêcher à cause de moi. Ça ne durera que deux ans. Je viendrai te rendre visite. On passera nos vacances ensemble, certains de nos week-end, les jours fériés et après on sera en âge d’emménager ensemble.
- Ça n’est pas à cause de ça. Enfin, tu sais bien que je préférerai être avec toi mais notre avenir nécessite quelques sacrifices c’est certain. Je n’y irai pas parce qu’ils ne vont rien m’y apprendre. Là-bas, on fait des conservateurs de bibliothèques, de musées, des traducteurs internationaux, des grands professeurs, ce genre de choses quoi. Ça ne m’intéresse absolument pas. Si déjà je m’engage dans cette voie, ce n’est pas pour avoir un vrai métier. Sinon j’aurai fait Science Po ou une Ecole de Commerce.
- Il faut bien payer les factures. Je travaille, mais c’est pas pour te donner des leçons. Je déteste ce que je fais. Mais je persiste à croire que nous ne vivrons jamais de notre art.
- Nous vivrons pour notre art, grosse différence. »
Tandis qu’ils parlaient, leur façon de marcher était hachée, en saccade, ils se faufilaient au milieu des gens sur les trottoirs, profitant d’une aspiration pour accélérer, et ils s’immobilisaient quand leurs phrases commençaient à se piétiner. Ils sortaient d’un minuscule cinéma dont ils avaient composés l’unique public. L’espace y était très resserré en largeur et les salles étaient réparties une par une sur les étages successifs. Le film avait été projeté sur un écran d’à peine deux mètres de larges. C’était Donnie Darko de Richard Kelly. Camille portait un ensemble noir, jupe au-dessus des genoux, gilet sans manche à décolleté recouvrant un haut en mousseline transparente qui dépassait par-dessus sa jupe. Aux pieds, elle portait des chaussures à talons argentés qui laissaient presque tout son pied découvert. Ses cheveux blonds encadrait son décolleté de vagues qui prenait des reflets châtains contre son gilet noir. Il portait des chaussures noires à pointes, un jean et une chemise noire, cette dernière dépassant très largement par-dessus une veste en jean bleu sombre qu’il portait boutonnée et à laquelle était accrochée un badge blanc et rouge. Ils portaient des paquets et se tenaient par le bras et n’avaient absolument pas conscience de ressembler à une rencontre incongrue entre voyageurs temporels. Dans la salle de cinéma, ils répétaient avant même que le film ne commence certains dialogues en sortant leurs emplettes des paquets, vinyle « This Charming Man » des Smiths, fringues, carnets Moleskine, affiche Chet Baker. C’était la première fois qu’ils voyaient le film ensemble, et déjà avant que le projecteur ne s’allume, ils le partageaient, se distribuaient les rôles pour les saynètes semi-improvisées, intervertissant parfois les rôles d’hommes et de femmes, balbutiant de mémoire les dialogues à voix basse, cherchant le texte si fort qu’ils l’inventaient, finissaient par se le murmurer à l’oreille, ne jouant plus, récitant d’une voix monotone jusqu’à ce que leurs tentatives se supervisent à l’écran dans la pénombre.
Plus tard dans la rue, Raphaël demanda :
« - Comment est-ce que tu vois notre avenir ?
Il y a plusieurs scénarii, non ? Il ne peut y en avoir qu’un, les possibilités sont trop nombreuses. Ok, parfois je nous vois pauvres. Parfois je nous vois riches. Tu y as déjà pensé beaucoup à ces avenirs ? s’enquerra Camille.
- A chaque fois que je suis seul. J’essaie de ne pas me laisser submerger par ce genre de réflexion quand nous sommes ensembles. De toute façon, je n’ai pas le temps d’y penser. Par contre, quand je suis tout seul, à chaque fois que je m’ennuie, que je me pose trop de questions et que je commence à voir du noir, j’y pense et ça me rassure.
- Quand je disais riche, je ne voulais pas forcément dire riches en argent. Je vois plutôt ça comme riches en opportunités. Je nous imagine nous faire inviter dans des palais brésiliens, nous irions faire les marchés dès quatre heures du matin et les soirs nous irions au théâtre. Tu jouera ta musique avec juste une guitare dans des salles d’opéra et moi je murmurerai mes vers et ma prose à même les rues.
- Tu crois vraiment que ce genre de choses sont encore possibles ?
- Nous ne serons pas des gens célèbres, jamais. L’important, c’est d’avoir assez pour vivre sans crever de faim.
- Oui et nous serons invités par les états étrangers, nous résiderons dans les ambassades françaises toute l’année, 360 jours par an. Les quelques jours restant nous les passerons dans des hôtels ici, histoire de voir comment la ville a changé, pour mieux la quitter à nouveau.
- Est-ce que c’est possible, ? J’ai le péché de croire à ma bonne étoile. Il y a certaines preuves qui ne trompent pas. Allumer la télé et voir un épisode d’une série bidon qui est entièrement sonorisée par des chansons du Velvet. Voir un film dont le personnage s’appelle Raphaël et ce même personnage tombe amoureux d’une fille qui s’appelle Camille – et c’était avant de te rencontrer. Être totalement perdue à l’étranger et dans la chambre d’hôtel, trouver un livre de René Crevel en espagnol. Tout ça m’est arrivé, ça ne prouve rien sinon la chance, l’existence d’un fil qui fait tenir debout nos vies. Alors oui ces vies sont possibles si nous avons le talent. Tout tiens là-dedans, non ? Sommes-nous assez talentueux. Si nous ne le sommes pas, nous sommes fichus. Tout nos plans tombent à l’eau, et tout ce que nous faisons aujourd’hui, notre temps libre, mes études, nos passions et notre amour : tout ça s’envole en fumée. Pour toujours.
- Certains jours je suis sûr de mon talent, quand j’invente une mélodie qui me semble extraordinaire. Le lendemain je la réécoute et elle me semble nulle. Sommes-nous assez talentueux ? Si nous ne le sommes pas ça veut dire que nous vivrons une vie pauvre, c’est ça ? Je sais que ce que je fais en ce moment, mon travail à l’usine, c’en est un avant goût. Dans cette version, nous ne nous verrons que le soir, après le travail. Nous aurons une maison, aussi grande soit-elle, pareille à celle de tous le monde. Chaque jour nous ressasserons nos vieux rêves d’enfance pour mieux les abandonner. Nous aurons vendu nos collections de disques. A la place, nous achèterons les disques à la mode pour nos enfants, et nous commencerons à aimer ça. Nous aimerons aussi notre travail abrutissant, nous tomberons amoureux de nos patrons respectifs, en secret. Quand nous ferons l’amour, nous penserons à eux, sans arrêt, n’osant pas nous l’avouer, n’osant pas leur avouer. Finalement, nous nous séparerons et la garde des enfants serait partagée. Nous ne penserons plus qu’à notre boulot, nous aimerons toujours nos patrons et jamais nous ne leur avouerons. Aussi horrible que ça puisse paraître, ça me semble toujours mieux que ma vie avant toi. Sauf la dernière partie bien sûr. »
Tout à leur kaléidoscope de vies heureuses et malheureuses, ils prirent un verre dans un bar enfumé, évoquant les suites de leurs spéculations, déployant à chaque fois un peu plus l’éventail des possibilités. Ils en furent bientôt à la fois enivrés et dégoûtés comme par la vodka qu’ils se partageaient. Ils se stoppèrent d’eux-mêmes dans leur élan, laissant un grand blanc mutuel dans la conversation, histoire de redescendre sur terre, dans ses instants délicieux réglés par le bruit des chocs entre les boules du billard au milieu de la salle. Ils n’y arrivaient plus.
« - Quand est-ce que tu pars, demanda Raphaël d’une voix éteinte.
- Dans trois heures, soupira Camille. Mes parents tiennent absolument à ce que je les accompagne. Je leur ai bien parlé de toi mais c’était prévu de longue date, alors …
- Dans ce cas, quand est-ce que je te revois ?
- Lundi matin, aux aurores. Ou bien dimanche soir, tard.
- Ce sera dimanche soir pour moi, sourit Raphaël. »
Ils se prêtèrent au jeu du billard une fois que celui-ci fut dégagé. Ils firent une partie à deux, se moquant d’eux-mêmes, inventant des nouvelles techniques, refaisant encore et encore les dialogues du film qu’ils venaient de voir. Camille gagna. Quand elle se penchait pour jouer, elle fixait la boule blanche avec la même intensité que quand elle le regardait amoureusement. Rien n’aurait pu la déconcentrer, son visage était parfait, plus beau encore qu’à la normale, elle n’avait pas de rictus, aucune grimace, juste une beauté naturelle, un petit sourire en coin, des yeux ronds et brillant de gentillesse, un menton presque invisible, des cheveux qui effleuraient le rebord de la table. En sortant du bar, l’après midi s’était déjà écoulé et Camille devait rentrer chez elle. Pourtant ils savaient qu’ils venaient de tromper le temps et leurs pensées, ils pouvaient le comprendre quand ils se regardaient, sans rien dire, gardant leurs idées en eux-mêmes de peur de les renforcer, de leur donner une forme qui serait ensuite indestructible. Comme du cristal.
« - Je n’arrête pas d’y penser, finit par avouer Raphaël.
- A quoi, demandait Camille faussement naïve, puis se reprenant, je sais bien à quoi tu pense, j’y pense aussi.
- C’était trop pessimiste. Et c’était trop optimiste. Notre avenir sera sans doute ni riche, ni pauvre. Juste entre les deux.
- Et ce sera bien, j’en suis sûr. Quand même, j’ai peur, frissonna Camille.
- Moi aussi, dit Raphaël pour la rassurer et s’effrayer lui-même.
- Comme je pense tous le temps à notre avenir, cette peur je l’ai tous le temps avec moi.
- On en a déjà parlé. On dirait que nous sommes obsédés par l’avenir. Au présent, nous sommes là, ensemble, et c’est le plus important, non ?
- D’ailleurs qui dit que nous vivrons notre vie ensemble ?
- Je le souhaite, j’en mourrai sinon. Mais c’est vrai que n’importe qui d’autres que nous, qui nous verrait ensemble depuis une semaine seulement finirait par rire de nos doutes et de nos suppositions. »
C’est de cette manière que sur le large trottoir presque vide d’une petite avenue qui menait chez Camille Goemans, ils s’arrêtèrent de marcher en même temps qu’ils s’arrêtèrent de vivre sur leur île déserte. Ils observèrent le fond de leurs yeux, les lèvres posées les unes contre les autres, et commencèrent à voir leurs iris devenir flous, aqueux, s’effondrer et couler le long de leurs joues.
« - On répète sans cesse les mêmes choses, finit par avouer Camille en s’adressant à elle plus qu’à Raphaël. Comme les dialogues de ce film.
- On n’est pas prêts. C’est la vérité. Nous nous sommes rencontrés trop tôt. Nous, ensemble, c’est un cadeau, une coïncidence qui n’arrivera qu’une fois dans notre vie, mais elle est arrivée trop tôt. Quand on a eu le temps d’écrire quelques chansons, commenta très sérieusement Raphaël, on a de quoi faire un single. Si on commence à vouloir faire un album, on court droit à l’asphyxie.
- C’est la pire métaphore qu’on ne m’ai jamais faite ! éclata de rire Camille, ses yeux coulant encore sur ses joues, cette fois plus de tristesse, mais de rire. »
Ils étaient arrivés au pied de l’immeuble de Camille et riaient de concert sous l’arbre planté dans un îlot de terre d’à peine quelques centimètres au milieu de la nature de goudron. Leurs rires se calmèrent et Camille dit :
« - Je n’irai pas dans cette université l’année prochaine. D’ailleurs je vais arrêter d’étudier les lettres.
- Pourquoi ? s’étonna Raphaël
- Parce qu’on apprend pas à devenir écrivain. Je veux dire, ça ne s’enseigne pas. Il n’y a que moi qui puisse le faire, moi en vivant, moi en écrivant, moi en lisant, moi en travaillant. Elle marquait des pauses de plusieurs secondes entre chaque ‘moi’, le temps d’imaginer la suite.
- Je le sais, répondit Raphaël. Je sais bien, mais pour vivre, comme tu dis il faut faire des choses, l’écriture n’est pas mère d’écriture.
- Ecoute … elle prenait son souffle. Ecoute moi bien. Tu as raison. On n’est pas prêts. Alors on ne se verra pas, ni dimanche, ni lundi. On va se laisser du temps pour grandir, chacun de son côté. Toi tu vas travailler ta guitare à chaque fois que tu aura du temps libre. Tu ne feras que ça. Et moi je vais travailler mon écriture et je vais essayer de vivre. Peut-être que je vais essayer les Beaux-Arts, en candidat libre. Ou quelque chose de beaucoup plus sérieux et austère, pour me secouer un peu, faire en sorte que l’écriture soit un moyen de survivre, une question de vie ou de mort. On va se donner un an, et dans un an jour pour jour, on se donne rendez-vous dans le bar où on a joué au billard. On boira de nouveau de la vodka, on fera une partie de billard et cette fois je te laisserai gagner. Tu peux même t’entraîner toute cette année pour essayer de me battre. Je te promet de ne pas toucher à un billard pendant ce temps. Et dans un an, on se retrouvera et on ne se quittera plus jamais. Parce qu’on aura une vie riche. Dans un an, on se mariera , et à la cérémonie, on invitera plein de gens de nos deux familles, qui bien sûr ne comprendrons rien à notre amour mais pourront se régaler avec le buffet et danser toute la nuit. Nous, on passera nos propres disques, et au moment de la valse des mariés, on passera Waltz#2 d’Elliott Smith. Ce sera ce genre d’amour. » Elle marqua une pause, scruta le visage de Raphaël, essayant de deviner sa réaction, entre tristesse et confiance.
« Tu es d’accord ? lui demanda-t-elle. » Il était presque de bois, perdu, sachant bien qu’elle avait raison. Il réfléchit. Il repensa à tous ce qu’il avait pu lui dire depuis leur rencontre. A la façon dont, inexorablement, il avait commencé à faire des erreurs, à être moins intéressant, à la façon qu’avaient eu ses phrases de devenir de moins en moins belles et de plus en plus sordides. Il ressentait atrocement le constat horrible de leur rencontre arrivée trop tôt. La rencontre d’une vie, gâchée, menacée de destruction dans l’œuf, parce qu’arrivée à deux être pas encore armés, pas encore prêts. Il hocha la tête, répondit « Oui » d’une voix à peine audible. Il était d’accord, terriblement d’accord, il aurait même pu se reprocher de ne pas en avoir eu l’idée. « Alors on ne se verra plus ? », demanda Camille, comme effrayée par sa propre idée. Raphaël secoua la tête et son « Non » fut recouvert par les klaxons de plus en plus pressants et de plus en forts des voitures qui déboulaient dans l’avenue où habitait Camille, les rétroviseurs parés de fleurs, de tissus rouges et de mousseline. D’abord, des voitures de collection ouvrirent le bal, leurs lourds klaxons retentissant longtemps, elles roulaient au ralenti, deux par deux, parfaitement alignées, des hommes âgés très bien habillés les conduisaient, sortis de la même époque que les voitures, les cheveux blanc, des moustaches toutes aussi pures, des yeux impassibles que l’on distinguait à peine à travers les énormes pares brise. Après trois rangées semblables, arrivèrent des véhicules plus disparates, désordonnés, tous des modèles différents, des voitures de sports aussi bien que des épaves, et même, sur le côté, un scooter, dont c’était le conducteur, au lieu du véhicule, qui portait les enluminures, bouquet de fleurs dans la veste à moitié fermées, rubans autour du casque. Au milieu de cette cacophonie de klaxons enfoncés de toutes leurs forces par les familles, une petite Coccinelle rose décapotable se détachait parce qu’elle ne klaxonnait pas. Son chauffeur était concentré sur la route pour éviter d’emboutir une voiture du cortège, et à l’arrière, la mariée était debout sur les sièges, éructant de joie dans des petits rires très sonores. Elle incitait le mariée, assis à côté d’elle en lui tenant les jambes, à venir la rejoindre, mais il restait sur son refus qu’il exprimait avec délicatesse pour ne pas décevoir sa femme. L’oubliant et se concentrant à nouveau sur sa joie, elle laissa échapper le bouquet qu’elle tenait pourtant fermement dans sa main gauche et il tomba sur la route, comme si elle l’avait vraiment jeté d’elle-même ainsi que le voulait la tradition. Puis vinrent enfin les amis qui composaient la majeure partie des invités, la plupart à vive allure, klaxonnant très sporadiquement mais le plus fort possible, plus pour essayer de retrouver leur chemin grâce aux échos des autres véhicules plus en avant que pour célébrer le mariage. Plusieurs dizaines de véhicules passèrent ainsi, certains décorés, d’autres non, certains enthousiastes, d’autres non. A la soirée, il n’y eut aucune chanson d’Elliot Smith. Sur la route, juste à la hauteur de chez Camille, il ne restait plus grand chose du bouquet de la mariée, à peine quelques pétales de roses rouges éparpillées un peu partout, sans que l’on sache vraiment si c’était l’œuvre de l’absurde cortège.

Vingt trois heures sonna à l’église et il entra dans le hall. Combien de fois le clocher avait-il sonné en vain depuis qu’il habitait avec Tristan chez Louise Champagne ? Un nombre impressionnant sans doute qui chaque fois faisait résonner en Raphaël la lourdeur de son erreur, près de neuf mois auparavent. Quelle logique malade avait pu lui faire penser que s’éloigner de Camille Goemans était une bonne idée ? Bien sûr, il avait depuis rencontré Tristan et Louise, qui l’avait sans doute rapprocher de ses idéaux musicaux. Mais il lui était impossible de se cacher à lui-même le fait qu’il n’était plus que le fantôme de lui-même. Plus rien n’avait de goût. Il ne souriait plus. Jamais. Avant de rencontrer Tristan et de quitter son job, il avait failli y devenir fou, de plus en plus isolé et pourtant de plus en plus entourés de démons, de peurs, d’ennemis imaginaires. Pour Tristan et Louise, cette nouvelle personnalité était véritablement la sienne : ils ne le connaissaient pas auparavant. Et il ne côtoyait plus personne de son ancienne vie. Il était le seul témoin de son changement. Un témoin effrayé et incapable de changer les choses. Camille semblait aller mieux que lui. Les rares informations qui lui parvenaient étaient enthousiasmantes et en matière artistique au moins, tout se passe bien pour elle, elle semblait même être en bonne voie pour décrocher une publication. C’était sans doute cela le plus horrible : pour lui aussi, tout allait au mieux dans ce domaine. Il avait écrit des chansons splendides sous le coup de la tristesse. Il avait passé ses journées solitaires à devenir un très bon joueur de guitare. Il avait usé de son désespoir pour agir sans crainte et oser sonner à des portes qui lui aurait semblé inatteignables quelques mois plus tôt. Tout allait bien. Tout arrivait. C’était génial. Voilà ce qu’on lui répétait. Voilà ce qu’il se répétait. Encore et encore et encore. Le plan marchait à merveille. Le pacte de Raphaël et Camille étaient la meilleure idée qu’ils aient eu.
Une nouvelle fois, il avait passé sa journée à boire dans des bars jazz et à marcher dans la ville, tentant inlassablement d’en fouler toutes les rues, tous les recoins, toutes les impasses. La main tremblante, il mit plusieurs minutes à réussir à enfoncer la clé de la boite aux lettres dans la serrure. Il réussit finalement à l’ouvrir et un amas de publicités, de factures et de colis s’effondra à ses pieds. Plus il essayait d’en ramasser plus il en tombait de la boite. Un voisin, lui proposa son aide sans même s’arrêter, s’enfuyant directement dans la rue sans laisser à Raphaël le temps de répondre à sa proposition. Exaspéré et épuisé, il réussit tout de même à refermer la boite aux lettes, quasiment vide, et laissa les restes à terre, songeant à redescendre plus tard. Longtemps il avait attendu des réponses de maison de disque, de salles de concert et tout cela n’était plus que paperasse, ordures, au milieu d’autres ordures sur le sol sale du hall d’entrée. Il était trop triste et trop saoul pour que cela ait une quelconque valeur. Il appuya sur le bouton de l’ascenseur, l’entendit qui s’actionnait plus haut et sous le bruit de sa mécanique, il crut discerner d’autres bruits, plus discret, un pressentiment ou une hallucination alcoolique qui lui fit continuer plus loin dans le hall et ouvrir la porte de la cage d’escalier : Louise Champagne était assise sur la toute première marche, la figure pâle.
« - Qu’est-ce que tu fais là ? lui demanda-t-il
- Je t’attendais.
- Mais, pourquoi dans la cage d’escalier ? Comment tu pouvais savoir que je te trouverai ?
- Je t’ai vu attendre devant l’immeuble. Je t’ai vu et je t’ai même appelé.
- Je n’ai rien entendu
- Ecoute, il vaut mieux monter, quelque chose s’est passé. »
Elle gravit les marches en premier, d’un pas rapide qui n’avait rien d’énergique. Elle avait des cernes sous les yeux et paraissait énormément inquiète. Arrivée devant sa porte, elle mit les clefs dans la serrure et ne tenant plus, se tourna vers lui pour dire : « Il y a eut un problème : Camille est morte. ». Le temps de prononcer cette phrase, la porte était ouverte et ils pénétrèrent dans son appartement. Raphaël mit du temps à comprendre ce que Louise avait dit. Il chercha dans ses souvenirs qui pouvait être cette Camille. Il pouvait voir un visage s’associer avec ce nom mais n’arrivait pas à se rappeler où est-ce qu’il l’avait connu. Dans un éclair de lucidité, il pensa que l’alcool jouait des tours à sa mémoire. Enfin il crut se souvenir d’une fille dans sa classe en 3° qui s’appelait ainsi et déclara, soulagé :
« - C’est tout ? C’est pas grave tu sais, je la connaissais à peine cette fille.
- Quoi ? répondit Louise, estomaquée, mais gardant un sang froid et un calme étonnant qui transpirait la compassion. Ecoute, sa famille a appelé ici, parce que c’est la dernière adresse de toi qu’ils ont retrouvé dans ses affaires, mais elle est morte depuis plusieurs jours, ça leur a pris du temps pour pouvoir te joindre. Ils disent qu’elle t’a laissé un mot, tout un carnet même, dédié à toi. Ils pensent que c’est un suicide, enfin, ils ne savent pas. Ils disent qu’on ne saura jamais.
- Oui, je comprend, reprit-il le plus sereinement du monde. Je vais essayer d’aller à son enterrement quand même.
- Elle a déjà été enterrée. Attends tu ne comprends rien ? demanda-t-elle complètement perdue par ce retournement de situation. Elle est morte. Elle est morte et ça ne te fait rien du tout ?
- Ben, pas grand chose en fait. C’était pas spécialement une amie. »
Il alla s’asseoir devant la fenêtre en mansarde, et quelque peu mélancolique, il observa la jolie vue de la ville illuminée de lumières artificielles.
« - T’es bourré ? Tu pue l’alcool et la sueur ! affirma Louise qui s’approchait de lui et lui toucha le dos avec deux doigts.
- Oui. J’ai du traversé toute la ville pour venir ici. Toute cette ville-là ! montra-t-il du doigt par la fenêtre »
Après, il resta à la fenêtre, totalement muet, avec l’air de réfléchir comme s’il réalisait petit à petit ce que Louise lui avait dit. Camille Goemans, la femme de sa vie, était morte. En vérité, il avait simplement envie de vomir, mais était-ce la liqueur ou son âme ? Vers 3h du matin, Louise déplia le canapé dans lequel il avait l’habitude de dormir et l’aida à se déshabiller et à se coucher. C’était la première fois qu’elle le voyait nu. Il était toujours muet, il bougea machinalement, se laissait modeler à la guise de Louise. Elle réussit à le faire se coucher sous les draps. Elle lui demanda s’il avait maintenant compris ce qu’elle lui avait dit et il répondit simplement, avec la voix d’un enfant, qu’il voulait voir par la fenêtre. Elle poussa un peu le canapé-lit vers la gauche de façon à ce qu’il puisse voir un bout du ciel étonnamment orangé en restant couché. Elle mit « Get Ready » de New Order à jouer faiblement sur la chaîne. C’était le disque sur lequel il s’endormait toujours. Il lui suffisait de se coucher, de l’écouter en entier, et à la dernière note de la dernière chanson, il s’endormait. Elle vint s’allonger à ses côtés, tout habillée sur les draps, prit la tête de Raphaël entre ses bras chauds et nus :
Crystal
60 miles an hour
Turn my way
Vicious streak
Primitive Notion
Slow Jam
Rock the shack
Someone like you
Close Range
Run Wild
Elle le berçait endormi et attendit qu’une larme sorte enfin de sous ses paupières closes.
 
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