Chapitre 11
[Note de Serge Nollens : Tandis que nous fêtions Noël, Raphaël me remit, sur des pages arrachés d’un carnet de notes, l’intégralité de chroniques londoniennes qui suivent, dont j’ignorais l’existence, les complétant même d’une dernière entrée quelques jours plus tard. Comme il est facile de le deviner, son idée en les écrivant n’était pas de me les adresser. Quoi qu’il en soit, ce fut mon cadeau, d’une générosité extraordinaire, et il me donna bien plus que j’en avais jamais rêvé. De fait, j’ai préféré mettre de côté toutes mes chroniques de cette époque, tant elles étaient fades et fausses comparées aux siennes. Peut-être avait-t-il commencé à écrire des chroniques bien avant notre rencontre, peut-être existe-t-il un carnet entier de celles-ci, mais je n’en ai jamais retrouvé la trace, à mon grand désespoir. D’ailleurs, j’ai beaucoup appris de ce qu’il a écrit, des faits que j’ignorais, auxquels je n’avais pas assisté. Durant plus de deux mois, nous passions de moments de vies communes à des jours entiers pendant lesquels nous nous ne donnions pas de nouvelles, c’était étrange, et à la fois, les moments que nous avons partagés furent les meilleurs de notre histoire. C’est sans doute pour cela que de temps à autres, nous devions feindre de ne plus nous connaître.]
LONDON
Le mercredi 08 octobre, il est 05:02 du matin :
A l’aéroport d’Heathrow, le douanier me posa une question vraiment étrange ; il regardait mon passeport, comparait mon visage à celui de la photographie collée dessus et, lisant mon nom à haute voix, demanda : « Raphaël Dermée, is that really you? ». Je le regardais et j’avais bien du mal à réaliser que sa question était sérieuse. Les mots d’anglais semblaient ne pas s’articuler, la phrase n’acquérait pas son sens au fil des secondes comme elles le font toujours quand on comprend une langue qui n’est pas la nôtre. Le douanier semblait attendre de ma réponse qu’elle soit le tournant de sa carrière, la révélation de son talent de fin limier qu’il exerce depuis des dizaines d’années sans en être remercié. Je lui répondis sans doute avec le pire des accents français : « Yes, it’s me » et à ce moment-là, lui qui n’était que muscle et torse se replia sur lui-même, la tête entre les épaules, il me fit signe de passer et je suis à peu près certain d’avoir vu une larme toute transparente commencer lentement sa chute au coin de son œil droit. Pas loin de moi, Tristan se faisait retirer avec force les écouteurs qu’il avait dans les oreilles par une douanière blonde et splendide. Le reste suivait, derrière. Londres. J’y étais le premier. Dans l’avion, nous faisions des challenges mp3 avec Tristan comme le font les adolescents japonais dans Mystery Train. Une fois, nous avons retourné nos lecteurs mp3 et la même chanson qui passait sur les deux, à la même seconde précisément : I Am Waiting des Stones. Tout me semblait effectivement être une attente, attendre l’enregistrement, attendre l’avion, attendre l’atterrissage, et au fond, attendre d’être à Londres depuis des années. Une fois que j’y étais enfin, l’attente continuait… Je crois n’avoir jamais été aussi déçu, sans le ressentir de façon aussi littéral. Je regardais l’aéroport, cherchait quelque chose, quelqu’un, qui aurait pu me dire : « Tu y es. You are here ». Mais rien ne ressortait, rien n’était différent de ce que j’avais pu voir avant et ailleurs, rien mis à part ce nom : Heathrow Airport. Nous attendions l’arrivée de nos bagages sur le tapis roulant et à mesure que les instruments commençaient à apparaître dans leurs houses noires, les autres passagers, ceux-là même avec qui nous avions pris l’avion, nous regardaient différemment. Les bagages étaient tous arrivés en un seul morceau, contrairement à ce que nous craignions durant le voyage. En réalité, s’ils étaient tous intacts, une valise n’était simplement pas arrivée du tout : la mienne. J’y avais mes vêtements préférés bien sûr, et aussi quelques bouquins, A Rebours d’Huysmans, des idées de chansons, des bouts de poèmes. Je me renseignais auprès de la compagnie aérienne, ils n’avaient aucune idée de ce qui avait pu lui arriver, personne ne les avait informés d’un quelconque incident. Je ne voulais assurément pas m’énerver, je leur laissais un numéro où me joindre et partait en essayant de continuer de sourire. Ce n’est qu’une semaine plus tard que je revins à l’aéroport pour récupérer ma valise en lambeaux, à l’intérieur mes vêtements déchiquetés, mes livres inexistants. Entre temps, je m’étais acheté la version originale de Crash et avait entamé une relecture hative. En sortant de l’aéroport, les restes brûlés de ma valise déposés dans un carton, je ne pouvais que scruter toutes les voitures avec l’espoir fou d’y voir les yeux excités de James Ballard. Nous nous étions tous installés à Bethnal Green dans l’East End, pas loin de Whitechapel et de la Tour de Londres. Au début, nous partagions différentes chambres d’hôtels dans la même rue et personne n’en avait rien à faire de voir un soir arriver trois personnes pour une chambre double, trois personnes qui n’étaient pas celles qui y avaient dormi la vieille. Nous étions sept : moi, Tristan, Louise, Serge, Lina Bardi, Hélène Smith et Conroy Maddox. Machinalement, j’ai failli écrire huit. Je ne sais pas pourquoi. Je suppose que j’ai toujours l’impression que Camille est avec moi, partout où je vais, et s’il y a bien un endroit où son esprit pourrait m’accompagner, c’est Londres. Une nuit que je partageais une chambre avec Serge, j’ai surpris une page de son carnet Moleskine sur lequel était inscrit son nom : « Camille Goemans ». Il dormait à poing fermé. Moi, je ne dors plus qu’une heure par nuit depuis que je suis à Londres. Personne ne le sait. On peut très sincèrement affirmer que j’en ai profité pour fouiller les affaires de Serge et savoir ce qu’il pouvait écrire sur moi. En face du nom de Camille, il y avait inscrit cette phrase entre guillemets : « Je pourrai l’oublier demain, passer à autre chose, ne plus jamais y penser, et pourtant je ne le fais pas ». Que voulaient dire ces guillemets ? Lui avais-je dit cette phrase un jour ? Dans ce cas, je ne parlais pas de Camille, je ne lui en ai jamais parlé. Peu importe comment il a appris son existence, de toute façon, c’est moi qui lui avais confié le rôle de biographe. Peut-être avait-il simplement inventé la phrase et me la placera de la bouche à un moment donné de la biographie. A moins, et ça me vint quand je regardais le soin qu’il avait mis à calligraphier le nom de Camille, que c’était lui qui parlait. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi et comment il s’était tellement entiché des Narcisses. Au début, il n’avait que très peu à voir avec nous, il ne connaissait rien à notre monde et à notre musique. Et tout à coup, c’était sa raison de vivre. Et moi, je l’ai introduit à tous le monde, à tel point qu’il connaissait tous mes secrets, même ceux que je ne lui avait pas révélé et était venu avec nous à Londres. Il n’était pourtant pas si intelligent que ça, pas si doué, bien qu’il ait ce visage étrange et si triste que le rend séduisant. Je crois que je lui ai simplement confié l’écriture de la biographie du groupe parce que ça flattait mon ego. J’aurai pu le faire moi-même avec un grand plaisir, c’est évident. Encore plus évident est le fait que ça change tout si quelqu’un d’autre le fait, si quelqu’un d’extérieur au groupe, et même d’extérieur à tout ce qui fait ma vie, se charge de l’écrire et se prend d’une fascination pour nous. A cheval sur les deux pages de son carnet, j’inscrivais ce poème de Paul Eluard :
« Pourrai-je prendre où elle est
l’apparence qui me manque
Sur les rives d’un visage
Le jour la force éclatante
Le dur besoin de durer »
Puis je fermais le carnet, décidant de le laisser continuer, de lui faire confiance, quand bien même il n’y aura jamais personne d’autre intéressé par cette biographie étrange d’un groupe inconnu qu’il était entrain d’écrire. Quoi qu’il en soit, ça ne m’a pas empêché de prendre mon stylo et d’écrire ce récit de mon voyage à Londres sur les pages du cahier où je suis censé écrire les accords de mes futures chansons. Je n’ai pas vraiment de raison de le faire. Mes insomnies me libèrent de nombreuses heures la nuit et bien que je passe la plupart du temps à effectivement chercher de nouvelles chansons pour remplacer celles détruites avec ma valise, j’ai l’impression que retranscrire en direct cette odyssée, ces moments fous et tristes qui se passent sous mes yeux et auxquels Serge n’assiste pas toujours, m’aide à mieux les comprendre, et donc à mieux les retranscrire sur ma guitare. Est-ce qu’un jour, cela remplacera la biographie de Serge ou bien est-ce que j’arracherai ces quelques pages pour les brûler ? Qui sait.
Le vendredi 24 octobre, il est 04:56 du matin :
Qu’est ce que la musique ? Non, plutôt, qu’est-ce qu’une chanson (parce qu’il faut bien s’avouer que ce n’est pas pareil) ? C’est un petit trou de serrure sur lequel l’auditeur plaque son œil. Pour satisfaire son plaisir, un spectacle se déroule sous ses yeux, il peut rester des heures à le regarder en fantasmant que la porte va s’ouvrir. Tous le monde connaît ses maisons, celles dans lesquels nous aimons flirter avec les murs, parce que nous savons que ce qui se trouve derrière correspond à nos attentes. Quand dans mes moments de lucidité, je m’observe et j’observe les autres, je comprends que nous avons érigé ça comme un mode de vie ici à Londres. Tout n’est que chanson, nous sommes tous des chansons. Nous ignorons notre conscience car nous ne pouvons pas la supporter. Londres fonctionne ainsi, ses artères bercent la nuit de chansons depuis quarante ans, sur la sono des pubs, j’ai toujours l’impression d’entendre une de mes compilations persos et si ce n’est pas le cas, je sors ma guitare de son étui et je la joue. Et c’est vrai que dans cet environnement, je suis plus prolifique que jamais. Le carrousel et sa musique vont de plus en plus vite, tous les soirs nous jouons, passés les premiers engagements, nous nous sommes retrouvés dans des petits pubs, et puis nous nous sommes faits remarquer encore et encore, de premières parties en affiches de salles lugubres. Une semaine s’est écoulée ou beaucoup plus, je n’en sais rien, je préfère oublier, je suis une chanson. Je ne retiens rien. Je suis le même. J’ai de l’esprit pendant 2 minutes 30 et ensuite, je recommence. Je suis brillant. Les gens m’embrassent. Je suis beau quand je pleure. Alors je n’ai rien d’humain. Je suis autre. Les Anglais aiment la débauche alors les Narcisses leur en donnent. Je n’aurai jamais vraiment cru y prendre plaisir. D’ailleurs, ce n’est pas le cas 50% du temps. Les autres 50%, je suis en sueur, torse nu, agrippé par une guitare, je bois pour avoir de l’énergie et quand l’instrument n’est plus là, quand on me l’a enlevé pour le débrancher et laisser la place au groupe suivant, je titube, j’oublie mon existence, ma tête tourne si vite que je m’accroche à la première jeune fille qui croise mon regard et je la garde jusqu’à la fin de la nuit. J’ignore leurs excuses à eux, mais les autres garçons et filles font pareil. A aucun moment, plus jeune ou plus tôt dans la soirée, je n’aurai voulu que ça arrive. Simplement, ce sont les évènements qui se déroulent. Le monde réel ne me manque pas. Camille me manque. J’aurai cru pouvoir passer ma vie entière dans ses bras, à ne rien craindre, à l’aimer, aujourd’hui je voudrai pouvoir jouer ma musique rien que pour elle, lui susurrer les mots qui ne parlent qu’à elle ; elle a disparu, elle a explosé dans l’air, moi je n’ai plus que mes chansons, tout ce qui reste d’elle, tous ces portraits que je veux jouer si fort qu’elle puisse prendre vie à nouveau et apparaître devant moi, sur scène, en chair et en os, faisant ainsi disparaître les milliers de spectateurs inconnus dont elle prendrait la place. Je sais bien que ça n’arrivera pas et, comme des milliards de personnes qui se lèvent chaque matin, je fais semblant pour avoir la force de continuer. Les comportements de ce genre, je les repère tellement facilement. La nuit dernière, j’avais gardé assez de lucidité pour prendre conscience de la tristesse de ceux qui m’entouraient quand les regards ont commencé à se croiser, quand les mots sont devenus mauvaise poésie et que les mains se sont frôlées. Tristan embrassait une anglaise couverte de taches de rousseur que nous avions rencontré à la fin de notre set acoustique dans le métro le soir même vers 19 heures et à ce moment-là, j’ai compris que c’était le constat d’un double échec. Enfin, nous, lui, eux, moi, ils, elles, c’est-à-dire Les Narcisses, passions aux aveux : ces baisers lancés à la curiosité criaient que nous avions perdu tout espoir en l’existence d’une âme sœur et que nous étions incapables de changer le monde. D’ailleurs, une nuit est passée et c’est toujours le cas. L’on en revient au début, puisque c’est le sens des chansons. Elles existent pour rendre beau le fait que l’amour n’existe pas et pour nous faire oublier le reste. Les restes. Nos vies ne sont rien comparées à ces soi-disant restes. Les restes sont tout. 6 milliards d’êtres humains, une bonne part qui souffrent le martyre, qui meurent de faim, de maladies, et qui meurent tout court. Aucune chanson (devrai-je préciser, aucune bonne chanson) ne peut parler de ces restes. J’ai pourtant essayé. Une chanson élude, une chanson ferme les yeux et oublie. Alors que faire ? L’horreur existe, sur cette terre, elle est même majoritaire. Faut-il oublier ? Faut-il en avoir conscience ? Parce que non, c’est une certitude, nous ne pouvons rien y faire. Qu’est-ce qui est le mieux ? Savoir sans pouvoir ou espérer pouvoir sans savoir. Je n’en sais rien, je suis une chanson, je ferme les yeux et j’oublie.
Le lundi 27 octobre il est 12:51 :
Londres est formidable ! Nous avons signé un protocole de contrat avec une maison de disque locale qui va nous financer une semaine entière dans un studio d’enregistrement. Ce soir est donnée une petite fête où nous jouerons. Les décisionnaires du label seront là et je suppose qu’ils vont attendre que nous soyons bourrés pour nous faire signer le contrat et en profiter au passage. Nous nous en fichons bien : nous allons enregistrer notre album, qu’il sorte un jour, qu’il ait du succès, qu’il soit bon, ça n’a aucune importance. Toutes nos connaissances londoniennes seront présentes et ce sera sans doute le plus grand moment de l’histoire du groupe. D’habitude, je ne supporte pas les gens qui qualifient les événements avant qu’ils n’arrivent. Là, c’est différent, je ne parle pas en mon nom ni en celui de quiconque, c’est le groupe qui parle : quoi qu’il arrive, désastre ou révélation, ce sera gravé dans l’histoire du groupe. Celle-là même que Serge s'acharne à théoriser. Je n’habite plus dans aucun des hôtels que j’avais l’habitude de fréquenter. Je vis avec un anglais nommé John Belcher. C’est un musicien et un voleur d’appartement. Il s’introduit dans les appartements abandonnés par leurs propriétaires le temps de leur vacances. Actuellement, nous sommes dans un grand appartement moderne et lumineux, tous les murs sont immaculés de blanc dont la fragilité est uniquement brisée par des tableaux d’Yves Klein. Je les ai étudiés, il me semble que ce sont des vrais. A aucun moment il n’est venu à l’esprit de John ou de moi de voler ces tableaux. Ce n’est pas ce dont il s’agit. Le propriétaire de l’appartement l’a doté d’un écran de cinéma géant et sa collection de dvd’s comporte l’intégrale des œuvres d’Hitchcock et de Seijun Suzuki. Je me lève en pleine nuit pour regarder Vertigo. Chez moi, j’avais déjà ces mêmes dvds de Suzuki, je les regarde en mangeant et en faisant cuir du riz. C’est incroyable comme cet appartement semble n’avoir été crée que pour moi, j’aimerai y vivre pour le reste de ma vie, et pourtant demain ou après demain, la vague va me prendre à nouveau et nous partirons, je laisserai le visage de Joe Shishido tourner sur l’écran, comme un message pour le propriétaire : « merci, merci, regardez-moi, je suis Joe Shishido » Et dans le prochain appartement, quelque chose d’autre m’indiquera que je suis chez moi, un rayon de soleil ou une tâche sur un mur.
Le mardi 28 octobre il est 06 : 00 du matin
[ Note de Serge Nollens : je préfère avertir le lecteur, ce qui suit est un amas de non-sens. C’est à ne rien y comprendre et tous mes efforts pour déchiffrer l’écriture de Raphaël n’ont pas réussi à ramener un peu de cohérence au texte. Je me souviens que la soirée du label avait été particulièrement folle et arrosée, je suppose que c’est à cela que nous devons la note qui suit. Les plus avertis y reconnaîtront sans doute des personnages déjà rencontrés et personnellement, étant en possession de tous les éléments, je trouve parfois que cette note dit plus de choses que tous le reste de ce livre. Dans ces moments-là, je prends une grande respiration et je me contente de sourire. C’est une sensation étrange, presque agréable.]
Je me souviens du moment, rentrant de terrain vague, une remorque y tire derrière, un labrador courre, abois et remue terrain vague est le lieu de dépôt exemple de pure destruction, tôle froissée, verre le vent, traces de sang, de larmes d’un instant. La voiture que tire l’élan de crissements de pneus, enfoncé, laissant la voiture se commencée par assombri, l’espace intérieur n’est même pas endommagé, passée d’un moteur et sur sa présence dur battant les pulsions du véhicule, disparu, avancer, et quand est-ce arrivé ? Les côtés de caisses sont à peine conducteur, passagers, tôles, comme l’effet d’un cœur guise de punition, les Dieux changeant les visages illuminés d’effroi qu’imprime la culpabilité. Tristan le crime ? Une trahison plus que l’irréversible, plus vite que ne puisse derrière aspirer la poussière par sa gueule conducteur lui fait des signes, essaie de joie, jappe et sautille dans une danse assis à l’arrière d’un scooter flambant neuf en jouant de la guitare, lui lui, une femme nue et deux près de l’herbe. Nous collons sur la porte rock. Quand il ne reste plus la face arrière. Plus tard il reviendra, de choix pour nos nuits et il est même allé en prison, bien en place est la preuve que les nuits. Après, il suffit de ne pas fille avec qui il couche chez des attaché aux lieux.
« Comme dans un boxe sans les poings sur un ring ralenti dans les cordes, décomposant au maximum les pas. Avec ses lunettes de femmes, s’il n’a pas de flingue à droite, n°1 se bat pour son rang, un qui n’ont que l’impression de jouer. Joe chez lui et sent ses prothèses fatiguer ça c’est très sérieux. Ah ces prothèses, et il se demande souvent si elle a trouvé les signes qui ne trompent ce qu’elles savent. Si elles regardent, c’est plus la différence avec avant, il doit enfin comprendre. Sur sa télévision est esquissé une horloge dans la poussière. Est excité par la vapeur de riz, passe des heures au dessus qui commence à embrumer ses entrailles et apparaître le visage de Camille Goemans dans la vapeur de riz. Elle me sourit fait partir les larmes séchées de l’image qui n’est qu’imparfaite, les fesses de Camille l’élastique de sa culotte sur sa peau pousse la porte. Le robinet s’allume, eau température maximale avant de se mélanger à la baignoire, à l’envers, caché par le filet douche tombe sur le carrelage et glisse, plastique, coupé l’écoulement de la paume de rien aucun autre bruit que celui qui tombe du robinet. Je ferme les sexe me fait mal. Je peux encore les jambes. Les fourmis s’échappent. Les draps yeux. M’assied dans le lit. Me regarde. Mes vêtements. Je reste nu. J’ouvre, elle n’est pas là. Je sers le pas à
l’usine, Tristan et moi passons devant un voiture, soulevant un nuage de poussière, et la queue quand il voit l’épave. D’un carrossier, chaque voiture entreposée est un brisé, lambeaux de tissus soulevés légèrement par des peaux fossilisées par la sueur remorque est peut être pire encore, dans klaxons, puis, silence, l’avant a été complètement un pare-brise vide en dentelles de verre on en vient à s’interroger sur l’existence actuelle. Aucun signe mécanique, pas de métal envolé, tout ce qui le faisait bouger, de passagers, sans doute sain et sauf. froissés, légèrement recroquevillés par l’écho des frissons, grecque sur une statue de marbre. En hommes en pierre, figeant pour l’éternité le regard, quel était donc l’assassinat. Jambes fondues en acier plus vite nous rattrape la nostalgie. Et ce chien ouvert, tourne autour de la remorque, l’éloigne. Le chien ne contient plus sa heureuse. J’ignore pourquoi je choisi ce moment-là, conduit par John Belcher (mendiait sur Tower donne 30 euros, chante avec lui. Chez bien habillées, utilisé les 30 euros pour des gens des flyers pour une soirée flyers, il retourne les tapis WELCOME sur les portes encore dérangées des entrées soirées). John semble faire ça depuis longtemps, il assure qu’à 99,9% un flyer toujours lieux sont vides, au moins pour s’attacher. John affirme qu’il largue immédiatement, de cette manière, il n’est pas film »
Joe est le tueur n°1, il vide. Violemment il se projette presque aux gestes de son adversaire qui n’existe sourit, toujours une fille à gauche et il n’en est que plus inquiétant. Joe combat à mort qui implique de nombreuses lui croit jouer, quand il rentre ses joues, il se rappelle que tous les filles hésitent toujours avant de toucher. Au fur et à mesure, il pas : si elles ne regardent pas qu’elles savent. Et maintenant lui-même ne fait qu’allumer l’écran, se regarder et se palper. De plus en plus petit, un farceur est minuit moins le quart. Joe se glisse dans la rue et les autocuiseurs, ouvrants ses narines, aspirant la fumée j’ouvre les yeux un instant pour voir se détacher très nettement en plein milieu. Je ferme mes paupières pour essayer de nuit. Quand je les ouvre à nouveau, elle s’éloigne lentement dans les bruissements effrayants de la salle de bain, chaude d’abord, le temps qu’elle atteigne l’eau froide. Joe fait l’amour dans la douche de Camille, j’entends Camille grommeler, ouvrir le rideau de douche. Et puis il n’y a plus de plics et de plocs des dernières gouttes derrière ses yeux. Je tourne dans le lit.. J’étends les bras. J’étends doux comme sa peau. J’ouvre. Je me lève. Je ne trouve pas fenêtre. J’entre dans la salle de bains. Robinet de toute mes forces. Elle n’est.
Le dimanche 09 novembre, il est 16:00
Toujours pas d’album enregistré ! La maison de disque a été plus prompte à organiser une fête qu’à trouver un lieu et un producteur pour enregistrer toutes nos idées. De quoi est-ce que je me plains, nous ne sommes là que depuis un mois et nous avons déjà un contrat qui couvre l’ensemble du Royaume-Uni. Nous devons bien être parmi les jeunes gens les plus chanceux d’Angleterre, à moins que nous ne le méritions vraiment, que nous soyons vraiment au-dessus du lot. Du fait de cette attente, je me suis ennuyé de longues journées durant. Je me levais tard, me mettais dans un coin et regardais la télévision. J’avais l’impression d’avoir de nouveau 14 ans. Aucun des nouveaux appartements que j’ai emprunté n’avait une dvdthèque impressionnante, aucun ne comportait de bibliothèque fournie. Je ne pouvais pas jouer de guitare sous peine d’alerter les voisins. De toute façon j’avais l’impression que d’ici mon entrée en studio, au lieu de progresser, je ne ferai que perdre le chemin de mes chansons. J’ai donc laissé John continuer sa dérive et j’ai repris une chambre d’hôtel. Tous les jours, j’essaie de me perdre dans Londres. Je ne fais que ça, je ne rentre que pour dormir (éventuellement) et me laver (éventuellement). J’ai découvert le Bethnal Green Museum Of Childhood par hasard en marchant seul dans le quartier. Il est de plus en plus rare que je voie mes amis dans la journée, car à coup sûr, nous nous retrouvons dès la nuit tombée. Tristan ne lâche plus les anglaises. Serge commence à ressembler à un être humain, à vivre comme eux. Louise s’est trouvée un petit ami. Elle n’est pas du genre à changer de couche tous les soirs, simplement, elle est tombée amoureuse de ce mec. Un américain. Et je sais qu’elle m’aime, moi aussi, de la même façon que je l’aime. Nous découvrons tous les deux que nous avons trop d’amour pour ne le donner qu’à une seule personne. C’est en tout cas que ce qu’elle m’a déclaré mot pour mot. Et il se peut qu’elle voie juste. Le Bethnal Green Museum Of Childhood est parfait : il y fait terriblement chaud et sombre, l’entrée n’est pas chère, il y a des milliers de vieux jouets exposés dans la poussière, et bizarrement, il y a très peu d’enfants. C’est assez logique. Quels parents voudraient emmener leurs enfants dans un musée de l’enfance ? Ils préfèrent les tirer dans des musées sérieux pour se donner bonne conscience. Un enfant est déjà un enfant, quel intérêt de lui faire visiter un musée sur lui-même ? Je ne sais pas. Le musée n’est même pas très intéressant. Les jouets exposés me laissent de marbre. J’aime simplement passer par tous ces escaliers qui ceinturent le musée, baisser la tête pour pénétrer dans certaines salles, éternuer à cause de la poussière et rester des heures dans ce lieu si calme, caché au beau milieu des mes nuits ardentes. Il y a une pièce, une seule, qui m’attire vraiment. Sous verre, un livre en très mauvais état y est exposé. Il est tellement désarticulé que les feuillets sont détachés et présentés séparément. Dans la vitrine, il y a d’abord la couverture, jaunie et rongée aux coins, dont le titre est illisible. Toutefois, on peut en déchiffrer quelques lettres et, c’est la première chose qui m’a attirée, le livre est en français. Son titre commence par « Manuel De … » et le reste a totalement disparu. A ce propos, la vitrine n’informe pas vraiment plus, il est simplement précisé sur un carton « Unknown French Class Book Found In London, 1947 ». Les quelques pages suivantes à être exposées sont dans le même état, à peu près illisibles, toutes, sauf une, en parfait état de conservation. Sur celle-ci est schématisée une petite plante qui ressemble à du muguet, les mêmes feuilles, des clochettes au bout de la tige, en plus sauvage. Le livre détaille sa composition et en précise même le nom : « Yali ». Plus d’informations devaient être disponibles sur la page d’en face mais il ne reste de celle-ci que quelques dents de papiers attachées au schéma. Le livre est la seule attraction d’une salle d’environ 4 mètres carrés, et j’y reste à chaque fois presque une heure, les yeux sur le livre, affalé sur la vitrine ou parfois même simplement installé dans un coin, engourdi et ailleurs. Je me souviens d’un rêve fait lorsque j’avais 17 ou 18 ans, où, dans une librairie un peu miteuse, je trouvais une vieille encyclopédie qui regroupait tout ce que j’avais toujours voulu savoir, tous mes centres d’intérêts, toutes mes passions d’hier et de demain. J’en suis persuadé : c’est la même encyclopédie exposée au Bethnal Green Museum Of Childhood et cette plante appelée Yalï sera ou a été au centre de ma vie. Quand une certitude aussi forte que celle-là traverse l’esprit rien qu’un quart de seconde, elle a l’avantage absolu sur les doutes qui la suivent. Je comprenais enfin pourquoi ce musée avait dès le début une saveur agréable. Depuis, j’y suis retourné tous les jours jusqu’à hier soir. Comme à l’habitude que j’ai rapidement acquise, je flânais le plus longtemps possible en résistant à la tentation de retrouver la seule salle qui aguichait mes sens. Au bout d’à peine quelques minutes, j’en franchissais pourtant le seuil pour me retrouver pris au piège d’une toile d’araignée tissée là par de fines traces de fumée blanche, presque jaune, qui stagnaient au-dessous du plafond. Dans un coin, les épaules collées au mur, les jambes resserrées vers l’avant, prêt à glisser, un anglais aux longs cheveux bruns tirait sur une cigarette, ouvrant sa maigre mâchoire carrée, comme le ferait un automate. Je restais là en silence, incapable de me concentrer et même d’apprécier le trésor que je me croyais dévoué. C’est l’homme qui brisa la glace en premier : « You have to ask me to stop smoking. Well, at least you’re supposed to ». Il s’appelle Peter Waldberg. Il a 40 ans. C’est la personne la plus âgée avec laquelle j’ai eu une discussion en plusieurs mois. « I don’t mind » j’ai répondu, il a immédiatement saisi la balle au bond « Oh, do you want one ? ». La conversation se faisant de plus en plus rapide au risque de partir en fumée, j’ai laissé s’échapper quelques secondes avant de répondre : « Thanks, no. I don’t smoke anymore. But if I wanted to start again, believe me, it’s you I would ask for ». Avez-vous déjà réfléchi à tous ces embryons de conversations qui jamais n’évoluent ? A toutes ces personnes (en général, des filles pour les garçons et des garçons pour les filles) que l’on pourrait connaître si seulement le dialogue ne s’éteignait de lui-même une fois la politesse passée ? Amours, amis, ennemis, on passe à côté d’eux à cause d’une fraction de seconde durant laquelle, en l’absence d’un peu plus de volonté des deux côtés et d’une phrase appropriée, nos vies basculent vers la médiocrité et l’isolement ? Etre dans un groupe de rock donne l’illusion que ça n’arrive pas. Avant ou après un concert, c’est tellement facile de discuter avec les spectateurs, même ceux qui ne savent rien de nous ; ils voient nos instruments, ils nous entendent sur scène, forcément la donne est faussée, forcément, ils ont envie de nous parler, et forcément, ils ont quelque chose à nous dire. On s’imagine que jamais plus il n’y aura de conversations avortées. Mais c’est faux, ce ne sont pas de vraies conversations, c’est autre chose, la relation du musicien à son public. C’est différent, ils ne deviendront jamais des amis ou des ennemis car jamais ils ne pourront accepter qui nous sommes vraiment. Ils nous verront toujours comme les musiciens. Moi-même je voudrai être ce personnage pour toujours, j’aimerai pouvoir tuer l’être normal qui est en moi, celui qui est né enfant et qui a grandi difficilement, seulement c’est impossible, je n’y arrive pas, il refait toujours surface. Serait-il plus fort que le musicien ? N’est-ce pas simplement que le musicien a trop d’amour pour lui ? Qui est la poupée de qui, qui est de chair et d’os, qui est de cristal indestructible ? La réponse, inconnue, est mon combat de tous les jours. Avec Peter Waldberg, ignorant qui j’étais autant que j’ignorais qui il était, la conversation a continué à couler sans qu’à aucun moment je n’ai besoin de réfléchir à quoi dire. Je lui parlais du musée et lui demandais ce qu’un homme comme lui pouvait y faire. Il répondit qu’il venait pour le livre. J’ai tout de suite compris. Il approcha de la vitrine et tapota contre elle le filtre de sa cigarette laissant sur le verre une étrange marque de buée gluante et jaune. Nous n’avions pas entendu l’annonce de la fermeture du musée susurrée à travers les haut-parleurs par la voix douce et rassurante d’une femme dont je m’étais demandé, à chacune de mes visites tardives, à quoi elle pouvait ressembler. Maintenant, le gardien faisait le tour des salles pour vérifier que plus aucun visiteur ne s’y trouvait et le cas échéant, lui rappeler que le musée fermait. Quand Peter Waldberg entendit sa voix stricte quelques salles avant la notre, il me tira très fortement par le bras et nous détalèrent dans une agitation qui me parut tout sauf discrète. En le suivant, et vu sa force, ne pas accepter de le suivre aurait consisté, au minimum, à lui décrocher un coup de poing pour lui faire lâcher mon bras, j’avais accepté son plan, bien que je ne le connaissais pas. Deux salles après la notre, nous arrivâmes dans une reconstruction de Londres à taille d’enfant et Peter se précipita vers Big Ben, l’ouvrit en deux et je découvris que c’était une penderie. Tous les monuments de Londres étaient des meubles, et Peter le savait. Nous nous cachâmes donc dans Big Ben, Peter éteignit sa cigarette entre le pouce et l’index et nous refermâmes Big Ben pour rester dans le noir, collés l’un contre l’autre dans une penderie d’enfant. Nous restâmes à sentir nos souffles respectifs cogner contre le visage de l’autre jusqu’à ce que, éclatant de rire, Peter avança sa bouche de quelques millimètres et m’embrassa. Dans un geste de recul, j’ouvris Big Ben. La salle était plongée dans la pénombre, le gardien n’était plus là. Je ris aussi. Nous passâmes la nuit à parler du livre et du Yali, à découvrir nos vies et notre passion pour la musique. Peter Waldberg est multi-instrumentiste de jazz et producteur. C’était le début de l’aventure.
[ Note de Serge Nollens : D’après mes premières recherches, il n’existe aucune plante, fleur ou herbe du nom de Yali. J’ai étendu mes recherches jusqu’aux végétaux exotiques sans plus de résultats. Le Bethnal Green Museum Of Childhood a brûlé il y a quelques années, la collection entièrement détruite, seule les fondations bancales subsistent. Il n’a pas été démoli et ses rêves d’enfants brûlés servent de refuges aux clochards et aux squatteurs au mépris de toutes les règles de sécurité.]
Le lundi 24 novembre, il est 11h00
Moi qui avais saisi l’écriture comme une échappatoire, me voilà qui me force à écrire parce que c’est ce que je suis censé faire : finir ce que j’ai commencé, affirmer mon côté littéraire. Il faut dire que ce n’est pas le moment pour. Le moindre moment de libre, je le passe avec Tristan et Peter Waldberg à peaufiner notre son, nos intros, nos ponts, nos bébés-solos et nos accords. Il n’y a que deux autres activités majeures : essayer de dormir dans le bus et jouer les concerts. Nous avons pris la route il y a 5 jours environ. Peter a terriblement bien organisé les choses et dans une poignée de semaines il ne restera sans doute plus un seul endroit du Royaume Uni que nous ne connaissions pas et qui ne nous connaisse pas. Pour ce que j’en ai goutté, c’est une agréable façon de vivre. Le temps file de manière impressionnante, mis à part les heures que l’on passe les yeux fermés, un vieux sac de couchage sur la tête pour simuler la nuit. Travailler avec quelqu’un comme Peter est gratifiant et motivant car il sait apporter la juste part d’idées pour que l’on continue à avoir l’impression que tous le génie vient de nous. Un homme expérimenté et talentueux, capable de nous demander de jouer dix fois le même morceau et d’être toujours enthousiaste après chaque tentative pousse forcément le groupe à se dépasser et à travailler sans relâche. Voilà pourquoi je n’écris plus. Les paroles des chansons sont toutes prêtes depuis longtemps. C’est la musique et l’interprétation qui ont besoin d’être peaufinées, les seuls moments où je pourrai prendre mon stylo, je préfère les passer à reposer mes doigts, y gratter les peaux mortes et faire disparaître les ampoules. Peter joue pour le groupe le rôle que Tristan a joué pour moi : beaucoup plus doué que nous, il continue chaque jour d’aimer la moindre chanson qui sort des Narcisses, à l’aimer plus que lui-même, et s’il cherche à améliorer quelque chose, c’est nous, notre technique et notre jeu, et en aucun cas nos chansons et notre univers. Durant les concerts, il reste dans l’ombre de la scène, semblable à notre première rencontre, entouré par des dizaines de nuages de fumée envoûtés qui lui obéissent au doigt et à l’œil et restent tout contre lui jusqu’à ce qu’il leur donne un ordre précis. Il pourrait très bien venir sur scène, jouer et polir notre son. Il ne le fait pas. Il aime ses moments où il manque la batterie parce que Tristan joue de la guitare, chante ou tape dans ses mains. Moi aussi, ce sont mes moments préférés, pour rien au monde je les supprimerai. C’est même pour eux que je subis les tortures des exercices imaginés par Peter, les gammes et les répétitions chronométrées : plus nous serons bons dans le sens technique du terme, plus nous pourrons nous permettre d’errer avec le charme du débutant. Peter dit qu’aucun musicien jazz ne pouvait se permettre d’improviser sans connaître parfaitement tous les moyens classiques d’utiliser son instrument. J’ai toujours souhaité connaître quelqu’un comme lui qui sache dire oui, non, pas comme ça, un peu plus comme ça. Il a réussi à monter la tournée en trois jours : il a même réussi à me convaincre alors que j’étais réticent. Enfin, je ne sais pas si c’est vraiment lui. Le jour où il m’a annoncé que nous devions partir sur la route, j’avais chiné chez les bouquinistes et trouvé un petit fascicule de 1947 nommé « The Tower Of London » auquel il manquait la couverture. Immédiatement, j’ai pensé au Manuel inconnu du musée de l’enfance. Je me précipitais pour l’acheter, n’accordant d’abord que peu d’importance au contenu du fascicule. En rentrant à l’hôtel pour le lire, je vis une tâche sombre sur les draps du lit qui n’avait pas encore été refait. M’approchant, je découvris ce qui semblait être un morceau d’aile de corbeau légèrement ensanglanté. Dix minutes plus tard, Peter toquait à ma porte et j’acceptai de partir en tournée sous sa direction. Ce n’est que récemment, assis dans le bus, que j’ai lu le fascicule et découvert qu’à la Tower Of London existe une volière de corbeaux auxquels on a coupé les ailes pour qu’ils ne puissent s’échapper. Doucement j’ai été amené à reconsidérer la chanson intitulée « Corbeau Crash » que nous avions joué une fois en France. A l’époque le titre avait été une simple idée dénuée de sens. Désormais, nous l’avons retravaillée et nous la jouons chaque soir. J’ai remplacé les paroles par des extraits du fascicule sur la « Tower Of London » et des allusions au Yalï. Je sais que ça peut sembler bizarre, mais je sais que ces deux livres sont liés et qu’en eux existe une certaine magie, la preuve, elle se produit à travers le temps. Pour l’instant, le public ne s’offusque pas que nous jouions certaines chansons en français et ils les reçoivent avec autant d’enthousiasme que celles en anglais. Afin que la tournée ait lieu, Peter nous a bouclé, pour nous et Johann Rep, de nombreuses dates avec plusieurs groupes différents. Jusqu’à Manchester, c’est-à-dire il y a deux jours, nous avons joué avec un groupe appelé « Penrose Avenue » qui donnait plutôt dans le glam rock. Heureusement, nous ne partageons pas notre bus. Il n’y a que Johann Rep et nos amis qui y vivent. Hélène Smith qui avait commencé la tournée avec nous, a disparu à Manchester pendant que nous marchions dans la ville à la recherche du spectre de Morrissey. Je suis resté trois heures dans le quartier à sa recherche tandis que la parade d’un cirque écumait les mêmes rues que moi avec lions en cages, éléphants et clowns. Le soir tombé, je devais rejoindre les autres pour le concert et nous sommes partis juste après, sans elle, pour rejoindre à temps la ville suivante. Avec Louise Champagne, les choses se sont beaucoup arrangées depuis notre départ de Londres. J’ai du mal à me souvenir d’un temps où nous ayons été plus amoureux. Elle monte sur scène et chante avec nous. Nous passons des heures à parler musique ensemble. Dans le bus, nous partageons un lecteur dvd portable et regardons les meilleurs films de David Lean ( les seuls que le chauffeur du bus possède) blottis l’un contre l’autre pour mieux voir l’écran minuscule. Quand elle s’endort (et elle s’endort toujours avant moi), je me lève, emporte le lecteur dvd qui pourrait la réveiller et termine le film tout seul. Ensuite, je m’assieds sur le siège derrière elle et je l’écoute dormir. Parfois, je saisis un léger souffle. La plupart du temps, je n’entends rien. Au bout d’un moment, j’en viens même à craindre qu’elle ne respire plus ou, bêtement, qu’elle ait disparue. Puis, une minute ou une heure plus tard, je vois le rideau qui bouge, seul signe de vie, j’entends le siège qui craque, elle se tourne, se redresse et par-dessus l’appui tête j’aperçois son crane dépasser et ses cheveux noirs très légèrement gras, comme recouverts d’un millimètre de lait de coco, qui ont pris le pli de la housse du siège sur lequel elle est assise. En général, je finis par tourner la tête ou me lever et alors le reste du bus endormi me fait face, tous mes amis, l’air paisible, leurs têtes reposant contre les vitres vrombissantes et parmi eux, Serge Nollens, coincé à côté du mastodonte qui décharge nos amplis, obligé de vivre et de respirer sur le demi-siège que son voisin lui laisse, me fait un large sourire béat et le garde sur son visage de longues minutes durant, parfois des heures.
Le jeudi 25 décembre, il est 10:30 du matin
Nous l’avons finalement fait ! Dès la tournée achevée, il y a environ 2 semaines, nous sommes entrés en studio avec Peter Waldberg. Nous en ressortions 10 jours plus tard avec 20 chansons enregistrées. Je crois que la maison de disque veut prendre quelqu’un d’autre pour faire le mixage mais il aura bien du mal étant donné qu’avec Peter nous avons essayé de garder le son le plus simple et le plus direct possible. C’est déjà un miracle qu’elle lui ait fait confiance pour l’enregistrement. Ce furent des jours extraordinaires grâce à lui. Le temps qu’il ne passe pas à la musique, il l’occupe en lisant Doestoievski dans le texte. Sa femme est une grande russe magnifique et joviale, un peu enrobée à l’approche de ses 40 ans, elle aligne difficilement trois mots d’anglais et communique avec nous dans un français parfait. C’est elle qui a fait à manger pour le groupe sur la tournée et en studio. Nous avons enregistré en plein cœur de Londres, dans un vieux studio à taille humaine. Peter en était un habitué et tous ensemble nous écoutions tous le temps les groupes de jazz qu’il avait produit et des disques de jazz New Orleans comme Bix Beiderbecke and his gang ou Jimmie Noone. Ça a été une influence inattendue sur notre album. J’appréciais particulièrement la façon dont la voix des chanteurs était enregistrée à la fois douce et très proche de l’auditeur. Tous le temps de l’enregistrement Louise nous a accompagné dans la cabine, muse splendide et soutien maternel. Elle a même appris quelques mots de russe avec la femme de Peter. Serge nous visitait très souvent, il s’approchait de moi avec des pages noircies d’encre bon marché et pestait contre son ordinateur qui était tombé en panne. Toujours il était d’une grande aide quand il fallait retrouver l’inspiration ou bien changer les paroles d’une chanson à la dernière minute. En tout furent enregistrés :
Sous tes vêtements
Corpus Delicti
Corbeau Crash
Drive with a Dead Girl
Les Papillons Noirs
The Last Evening
Quimper and Me
Amazonian Traffic
Shangri La (The Kinks)
Acadia
La Chapelle Rouge
Infernow
Rubbergun
Sherilyn Fenn
The Wakefield Tower
Diane c’est toi
Curtana
Traces to nowhere
Une dernière chanson impromptue s’est rajoutée hier soir à la liste. C’était la vieille de Noël et nous n’avons pas joué de concert, rien. Nous nous sommes simplement réunis chez Peter Waldberg : moi, Tristan, Louise, Hélène Smith qui était sortie d’un train en provenance de Manchester quelques jours auparavant, Lina Bardi, Conroy Maddox, et Serge, comme à notre arrivée à Londres. Ce fut un Noël blanc. Il faut tout de même savoir qu’à Londres, il ne neige pas. Un instant, les rues sont vides et sèches et une heure plus tard, sans que personne ne s’en soit aperçut, le rebord des fenêtres est recouvert de dix centimètres de neige et dehors les voitures avancent dans un bruit de frottement comme un soupir. Peter avait spécialement arrangé à la guitare une version de « St. James’ Infirmary » par Artie Shaw And His Orchestra et je l’ai chanté juste après la remise des cadeaux. Serge avait ramené son enregistreur et je suis sûr que cette étrange performance fera une magnifique chanson cachée sur notre album. Pour Noël, Louise m’a offert trois mots de russe (« Ya Lyubly Tyebya », « Je t’aime » en français, ce qui voulait dire, dans un troisième langage, le notre, qu’elle m’avait choisi au détriment du jeune anglais rencontré plus tôt) et je lui ai donné le fascicule sur La Tour de Londres en lui murmurant à l’oreille toute l’histoire sur le livre exposé au Bethnal Green Museum Of Childhood. A Peter Waldberg, j’offris une de mes guitares et il me remit les bandes de l’album. Tristan m’offrit une chanson qu’il avait écrite et je fis de même, sans que nous n’ayons rien prémédité. Serge Nollens me donna tous les enregistrements pirates des Narcisses qu’il avait réalisé en concert, en studio ou en privé, me rassurant sur le fait qu’il avait au préalable tout rentré dans son nouvel ordinateur portable. A minuit, sans que personne ne sache pourquoi, Peter fit le tour de la pièce et embrassa tous le monde sur la bouche, avant que sa femme ne fasse de même. Finalement l’ensemble des invités les suivirent et nous ne nous sommes pas arrêtés avant que tous le monde n’ait embrassé tous le monde. C’était très sensuel, très charnel, autant que ça pouvait l’être sans tomber dans l’orgie. Quand j’ai embrassé Louise, des étincelles m’ont électrocuté. Plus tard dans la nuit, elle s’était réfugiée contre la cheminée, elle portait un épais pull à col roué et son visage encadré par ses cheveux transpirait. Je lui répétais sans cesse ses mots de russe : « Ya Luybly Tyebya» . Je lui ai demandé de m’épouser. Elle répondit : Peut-être. Nous nous sommes endormis blottis l’un contre l’autre sur le canapé, face à la cheminée. Après-demain, nous partirons en France honorer un contrat à propos d’une tournée des salles de concert pour la nuit du Nouvel An. Nous prendrons l’avion dans l’autre sens en ramenant Peter Waldberg. Sur place, il essaiera de nous trouver un distributeur pour la France. Je n’ai pas envie d’y retourner. Une fois les démarches obligatoires remplies, je veux retourner à Londres et épouser Louise Champagne. Hier soir était tellement étrange, tellement splendide. Comme la veille de la fin du monde, tous heureux, tous ensemble, amoureux et gais. Pourtant aujourd’hui, je le confirme, à l’heure qu’il est, la fin du monde n’a pas eue lieu.